Gilles Marchand

Fédéralisme, décentralisation, studios et programmes

S’il y a une chose à laquelle la Suisse est attachée, c’est bien sa diversité médiatique. Une diversité précieuse, qui permet de refléter les multiples sensibilités culturelles et linguistique du pays.

En Suisse, la question est de savoir comment cette diversité peut continuer à s’exprimer dans un contexte médiatique sous pression. Les modèles économiques de la presse écrite sont questionnés, la publicité fuit sur les plateformes digitales, les audiences deviennent versatiles, les vidéos s’exportent sur d’innombrables écrans, l’usage de l’audio va devenir conversationnel.

Les services publics ne sont pas épargnés par ces grandes remises en cause.
Ils doivent aussi s’adapter, alléger leurs charges pour maintenir leurs prestations de programmes. C’est le cas de la SSR.

En annonçant son intention de réorganiser son parc immobilier pour diminuer ses surfaces d’environ 25%, la SSR a provoqué un grand débat, particulièrement à Berne, concernée par le transfert d’une partie de la rédaction radio à Zurich. Mais aussi à Genève et Lausanne.
En toile de fond de ce débat passionné, se pose la question du fédéralisme. Affaire de programmes ou de studios?

Gilles Marchand
Directeur général SRG SSR

 

Interview à l’émission «19h30» de la RTS, 19 septembre 2018

Interview dans le journal «SonntagsBlick», parue le 23 septembre 2018

 

«Je demande à être jugé sur pièces»

— Une interview réalisée par Christophe Passer, parue dans Le Matin Dimanche du 23 septembre 2018. —

Les annonces de déménagements de sites entre Berne et Zurich ou l’éventuel déplacement de l’actualité de Genève à Lausanne ont fait réagir de tous côtés. Le directeur général de la SSR s’explique.

Le Matin Dimanche. Avec les déménagements annoncés cette semaine, quelles économies la SSR espère-elle concrètement?

Gilles Marchand. L’idée générale, c’est de diminuer de 25% les surfaces utilisées pour réduire les coûts en regroupant certaines activités et en cédant des bâtiments. En Suisse romande, nous avons déjà vendu les bâtiments de la Sallaz, à Lausanne, à l’État de Vaud. À Genève, nous n’avons pas l’intention de céder la tour de la télévision. En revanche, nous souhaitons, par exemple, céder la salle Ansermet. Nous relançons aussi le projet Campus, avec un nouveau bâtiment à l’EPFL de Lausanne, à l’horizon 2024-2025. Au Tessin, nous souhaitons aussi vendre nos bâtiments au centre-ville de Lugano pour regrouper nos studios à Comano. Les économies précises en Suisse romande et au Tessin dépendront de ces ventes.

 

En Suisse alémanique, vous avez en revanche déjà des chiffres?

Oui, car, là, les décisions sont prises. Les économies y seront de l’ordre de 12 millions. Cela se divisera entre 5 millions de francs à Berne et 7 millions à Zurich. Sur les 5 millions trouvés à Berne, il y a en a environ 3,2 qui concernent SRF et 1,8 qui toucheront la direction générale. Là aussi, les économies sont consécutives à des cessions de bâtiments rendues possibles par une réorganisation des surfaces. Par exemple, nous allons, à Zurich, fermer le bâtiment de la radio au centre-ville. Afin de rassembler les personnels de radio et de télévision autour de nos autres locaux de Leutschenbach. À Berne, notre intention est de quitter la tour de la direction générale, en la relouant, et de transférer nos personnels là où nous avons nos studios. À Bâle, nous allons quitter aussi nos studios historiques pour en occuper de nouveaux près de la gare. Ces rocades génèrent au total 12 millions d’économies annuelles.

Je vous rappelle que nous devons économiser 100 millions de francs par an dès l’an prochain. Cinquante millions disparaissent de nos caisses dès 2019: le Conseil fédéral a limité à 1,2 milliard les revenus de la redevance, contre 1,25 milliard auparavant. Et nos recettes, plafonnées, n’augmenteront plus avec la population. Le solde disponible, il appartiendra au gouvernement d’en décider l’usage: soit baisser encore la redevance, soit investir ailleurs, dans l’aide à la presse par exemple. Les recettes publicitaires sont également à la baisse. Enfin, le cahier des charges de la SSR augmente: notamment l’obligation de plus sous-titrer nos productions, ce qui va nous coûter environ 10 millions par an. Nous avons ainsi 30 millions de plus à trouver. Enfin, il faut continuer à adapter le service public, à inventer son avenir: nous allons y consacrer 20 millions de francs.

 

Vingt millions destinés à quoi?

Réinvestir dans l’offre de programmes. Plus de films, plus de fictions. Augmenter le nombre de séries, par exemple. On en a 3 ou 4 par an, actuellement, entre la Suisse romande et la Suisse allemande: j’aimerais arriver à 7. Avec la possibilité de systématiquement les réutiliser dans les autres régions, comme «Quartier des banques» va l’être en Suisse alémanique. On va aussi investir dans la nouvelle plateforme digitale que nous lancerons à Berne. Il s’agit de développer une sorte de Netflix de service public: proposer tous nos programmes dans toutes les langues, sur une plateforme organisée non plus par région ou par langue, mais par domaines, par thèmes, avec des sous-titres dans les langues nationales. Enfin, nous allons développer à Berne une nouvelle rédaction multilingue, répondant aux nouvelles exigences de la concession, avec une quinzaine de journalistes qui travailleront notamment sur les questions liées à l’intégration.

 

Comment prenez-vous les reproches politiques, notamment venus de la Berne fédérale, où des parlementaires se disent trahis après vous avoir soutenus lors de l’initiative «No Billag», refusée par 71% des Suisses le 4 mars?

Je ne les prends pas du tout à la légère, mais je les trouve un peu injustes. Qu’ai-je entendu le 4 mars? La presse, une grande partie de la population et quasi tous les partis politiques nous ont dit: «Vous avez gagné le 4 mars parce que vous avez répété qu’il n’y avait pas de plan B, mais un plan R, comme réformes.» Tout le monde souhaitait des réformes à la SSR. Tous attendaient des économies dans nos structures, tout en protégeant les programmes. Mais quand on commence à le faire, les reproches pleuvent. Je fais ce que nous avons promis, en essayant d’affaiblir le moins possible la raison d’être du service public, ses contenus. Quelle est l’alternative? Réduire l’offre, fermer des chaînes, licencier plus de monde: ce n’est pas ce que nous voulons.

Je crois que l’émotion que suscitent nos annonces doit être pondérée. Christian Levrat, le président du PS, a par exemple récemment fait part de ses inquiétudes, tout à fait légitimes, concernant la politique fédérale. Eh bien je peux confirmer que pas un seul journaliste travaillant sur ces thèmes, dans notre centre des médias, n’est concerné par ces déménagements. Berne restera notre centre de compétence à propos de la politique fédérale. Nous préparons les élections fédérales 2019, et tout se fera à Berne, comme par le passé. Nous allons déménager une partie de nos collaborateurs, environ 170, de Berne à Zurich, mais, en même temps, nous renforcerons notre couverture nationale à Berne. Et nous aurons plus de collaborateurs dans les cantons. La prise en compte de cette dimension fédéraliste et culturelle n’est absolument pas menacée par ce mouvement. Je suis très attentif à cette question.

 

On dit que l’actualité partant vers Lausanne signifie l’abandon de la Genève internationale, ou qu’il s’agit de nier l’histoire de la télévision suisse: peint-on le diable sur la muraille?

Je comprends et partage une certaine nostalgie des temps heureux, des temps plus faciles pour le journalisme. Mais nous ne quittons pas du tout Genève! Nous sommes juste en train de nous demander comment adapter l’activité. En Suisse romande, si les équipes radio et télévision de l’actualité pensent que cela a du sens de travailler plus et mieux ensemble, alors nous essaierons d’intégrer davantage. Nous avons cinq ans devant nous. Or, si on regarde l’évolution, radicale, du paysage médiatique, le moins que l’on puisse dire c’est que la manière dont le public interagit avec les médias change de façon spectaculaire. On ne peut pas, à 60 kilomètres les uns des autres, maintenir une situation figée.

On a reproché au service public son immobilisme. Je demande un peu de cohérence. On ne peut pas à la fois nous demander de préparer l’avenir et en même temps nous dire de ne rien bouger. Pourquoi, par exemple, la télévision a-t-elle pris racine à Genève? L’une des raisons, au début des années soixante, c’est que le Conseil d’État genevois avait acheté les premières caméras. C’est une belle histoire, mais elle n’est pas immuable. D’autres initiatives sont possibles.

 

Vous dites aussi que la prochaine bataille, c’est l’audio?

Je le crois, oui. Quand, en 2001, nous avons mis la vidéo sur Internet, j’ai été confronté à d’innombrables résistances. Quinze ans après, c’est une absolue évidence. Je me trouve aujourd’hui, avec l’audio, dans la même situation. Je suis convaincu que l’audio va complètement se fragmenter. Que nous n’allons plus rester dans une logique linéaire, mais séquencée, à la carte. Il y a un combat difficile à mener pour la place à occuper sur ces nouvelles plateformes, pour permettre à nos programmes de service public d’être disponibles facilement. Il ne s’agit pas que de sécuriser l’acquis mais de préparer la suite, d’anticiper. En collaboration avec les médias privés suisses, comme nous venons de le faire avec le lancement du «Swiss Radioplayer». Ce type de collaboration public-privé est appelé à se développer.

 

Qu’est-ce qui reste négociable dans les déménagements entre Genève et Lausanne?

Encore une fois: il n’y a ni vainqueurs ni perdants. En Suisse romande, Pascal Crittin et ses équipes essaient simplement d’organiser l’activité de la manière la plus intelligente possible, tout en répondant aux contraintes fixées à l’entreprise: des contraintes d’efficience et d’exigence éditoriale. Nous essayons de le faire sans affaiblir l’offre. C’est une démarche légitime. Il n’y aura aucun désert médiatique en Suisse romande, notamment parce que la SSR va continuer à investir dans cette région. Je demande à être jugé sur pièces.

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *