Gilles Marchand

Netflix débarque, tous aux abris?

C’est le buzz de la semaine. A lire les commentaires, on en vient presque à se demander si les grandes chaînes de télévision seront encore là d’ici la fin de l’année. Pourtant, à première vue, l’arrivée de Netflix ne semble pas être une attaque frontale contre les chaînes généralistes, donc contre la RTS. Il s’agit avant tout d’une offre supplémentaire en matière de VOD et de SVOD (subscription video on demand). Or, dans ce domaine, la Suisse a déjà une belle offre sur toutes ses plateformes – notamment, sur celle de la RTS. Sur la base du catalogue réel de Netflix, on constate que ce dernier ne semble pas si impressionnant que cela, si l’on juge l’offre américaine, mises à part quelques séries phare qui ne rassemblent de toute façon pas vraiment le public des grandes chaînes généralistes.

 

La cascade des droits

L’enjeu pour la RTS est peut-être plus dans la chronologie des médias. Aujourd’hui, Canal+ acquiert les droits exclusifs de certains films pour la Suisse. Par conséquent, la RTS ne peut diffuser les films que 12 à 18 mois après la chaîne à péage française – soit 21 à 27 mois après la sortie en salle. Si aujourd’hui Netflix ne peut obtenir les droits d’un film que 36 mois après sa sortie en salle, elle tentera de contourner le problème en diffusant en France depuis le Luxembourg. En retour, la France pourrait décider de ramener la fenêtre à 22 mois pour protéger la SVOD française, Canal play en tête. Ceci bouleversera de manière significative le paysage audiovisuel et la programmation du cinéma.

Pour ce qui est des séries, c’est différent : il n’existe pas de chronologie officielle, c’est le premier et/ou celui qui paie le plus qui décide. Lorsque Canal+ achète une série, il demande l’exclusivité de diffusion pour la Suisse pendant une année (exemple Mad Men). Par contre, il existe quelques séries que la RTS peut diffuser en même temps voire même avant (Homeland, Vikings, ou encore Game of Thrones), notamment si ces séries sont d’abord exploitées par OCS (Orange Cinéma Séries) qui n’est pas commercialisé en Suisse, et par conséquent qui ne prend aucune exclusivité par rapport à la RTS.

Bien sûr, Netflix souhaitera et obtiendra l’exclusivité (comme le fait Canal+ aujourd’hui) sur les séries qu’elle va produire ou coproduire – mais ce ne sont pas des séries prime-time pour la RTS. Et il n’est pas certain que Netflix bloque la « free TV » pour les autres séries, il s’agit de la SVOD et les chaînes généralistes ne devraient pas être trop directement touchées.

 

Un pas de plus vers la fragmentation

Reste le comportement du téléspectateur. La RTS diffuse en priorité les meilleures séries dès qu’elles sont disponibles en français. Le fan de séries, s’il ne les a pas déjà téléchargées, vues sur la RTS, visionnées en catch up sur www.rts.ch, ou encore rattrapées sur les chaînes françaises, va-t-il attendre que l’ensemble des épisodes soient disponibles sur Netflix ? Et que dire du film de cinéma, qui arrive déjà quelque peu « usé » sur la RTS (deux ans après la sortie en salle, c’est long) et qui ne sera disponible qu’en fin de course en SVOD…

La fragmentation générale des médias continue, c’est certain. Et le développement d’offres comme celle de Netflix accélère le mouvement, sans aucun doute. Cependant, il faut prendre le temps de l’observation réelle avant de pouvoir pointer avec certitude les gagnants et perdants de cette nouvelle donne.

 

Gilles Marchand

 

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