Gilles Marchand

«Nous ne choisissons pas nos séries en fonction de la publicité»

Eclairage sur la publicité et les choix de programmation de la RTS. Entretien avec Elisabeth Eckert du Matin Dimanche

Un épisode de série acheté 4300 francs en prime time rapporte 50 000 francs en publicité. C’est énorme, non? Que fait la RTS de cet argent?

Je ne conteste pas du tout les tarifs de publicité de nos chaînes, ils sont d’ailleurs publics. Mais il n’existe aucun lien direct de cause à effet. La RTS, tout comme SRF (Schweizer Radio und Fernsehen) ou RSI (Radiotelevisione svizzera), ne perçoit pas directement les recettes publicitaires. Celles-ci vont à la SSR, qui les cumule avec la redevance, avant d’appliquer une clé de redistribution nationale pour chaque région. Il n’y a pas de relation directe entre la programmation des chaînes et les budgets dont elles disposent.

Comment l’argent de la pub est-il réparti entre les trois entités de la SSR? In fine, combien en retire la RTS?

La SSR applique le principe d’une clé de financement solidaire entre les régions, clairement favorable aux régions minoritaires. Ainsi la Suisse alémanique génère 70,5% des moyens de la SSR (cumul de la redevance et de la publicité) et en garde 45,6%. La RTS génère 25,3% des moyens et dispose de 32,6% des ressources. Quant à la Suisse italienne, elle contribue à hauteur de 4,2% pour recevoir 21,8%. Ce système permet à toutes les régions d’offrir des programmes de même nature et de même qualité dans toute la Suisse, indépendamment des ressources de chacune.

Que fait la RTS de cet argent? Des productions maison?

L’essentiel des moyens dont dispose la RTS est en effet concentré sur la production originale. Les achats (fictions en particulier) représentent moins de 10% des budgets de programme et de production. Les coûts administratifs de la RTS ont fortement diminué depuis la fusion RSR/TSR pour se situer aujourd’hui à environ 10% du budget total.

Combien coûte, à la minute, une fiction de la RTS et une minute de «Mise au Point», du «Dîner à la ferme» ou de «Temps présent»?

Une minute de fiction produite (série) en Suisse coûte entre 10 000 et 15 000 francs la minute. Ce qui est bon marché en comparaison des coûts européens. En règle générale, la RTS coproduit les fictions avec des producteurs indépendants suisses. Dès lors le coût direct pour la RTS se situe entre 8000 et 10 000 francs suisses la minute. Par comparaison, une fiction américaine coûte à la RTS environ 100 francs la minute. Les magazines de la RTS se situent, eux, entre 2000 et 3500 francs la minute.

La RTS est tout de même un gros consommateur de séries…

Nous programmons ces séries (en première diffusion et en version originale) d’une part parce que notre public les apprécie, d’autre part parce qu’elles nous permettent de fidéliser notre audience et de l’amener, en nombre, à nos rendez-vous de production originale. Le «19:30» n’arriverait pas à réunir régulièrement 60% de part de marché ou nos magazines près de 40% si le public ne restait pas fidèle tout au long de la journée et surtout de la soirée. Les séries, au-delà de leurs qualités intrinsèques, représentent une offre de programme complémentaire essentielle au succès d’audience de la RTS.

Dans vos revenus, quelle est la part de la redevance et celle des recettes commerciales?

Au total, les recettes commerciales, hors redevance, représentent environ 30% des moyens du service public. Elles sont constituées à hauteur de 25% par les recettes publicitaires, qui proviennent des spots de pub vendus par notre régie Publisuisse, et par le sponsoring. Les 5% restants proviennent d’autres recettes qui résultent notamment de la vente de nos programmes, des produits de nos boutiques (DVD et CD en particulier).

Si les programmateurs ignorent tout des recettes de pub, comment expliquez-vous que la série danoise «Borgen», par exemple, est diffusée en toute fin de soirée alors que les séries américaines sont toujours programmées en prime time?

Nous programmons «Borgen» à 23 heures, car cette très belle série divise le public plus qu’elle ne le rassemble. Or, pour tenir nos objectifs d’audience (au moins 30% de part de marché entre 18 et 23 heures), nous devons rassembler le public aux heures de grande écoute. Ces objectifs d’audience sont importants pour la légitimité de nos programmes. Un service public qui n’arriverait pas à rassembler le public lors de ses principaux rendez-vous aurait un vrai problème.

Avez-vous honte de gagner de l’argent hors de la redevance?

Nous n’avons absolument pas honte de refinancer une petite partie de notre offre de programme dans le marché. Au contraire! Mais, en TV, notre concurrence est puissante. Elle ne se situe pas en Suisse, mais en France, avec des chaînes publiques et commerciales, qui ont dix ou vingt fois plus de moyens que nous. Mais oui, c’est un sujet sensible, particulièrement dans le domaine du online, où nos offres sont en concurrence potentielle avec celles de la presse écrite. Tous les pays qui ont, comme la Suisse, un modeste bassin de population doivent s’appuyer sur un système de financement mixte (redevance et publicité). En ce sens, tout ce qui peut nous aider à rassembler le public romand et à produire plus de contenus en Suisse est le bienvenu!

Entretien mené par Elisabeth Eckert et paru dans le Matin Dimanche du 13 octobre 2013.

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