Gilles Marchand

Savoir-faire et faire savoir, grâce au Prix Italia

Les télévisions de service public ont toutes quelque chose en commun. Nous partageons des valeurs. Celles de l’indépendance, de la diversité, du respect du public. Et dans cette société numérique connectée, ces valeurs sont essentielles.

Il faut les défendre, les soutenir. Mais il faut aussi les confronter et les stimuler. C’est dans l’innovation permanente que se trouve l’avenir des services publics, qui sont plus forts ensemble. Surtout face à des players mondiaux qui peuvent peser sur les marchés à coups de milliards, qui tentent de contrôler la distribution des programmes, et qui investissent massivement dans la production.

 

Le premier défi est la révolution digitale

3.2 Mrd de personnes utilisent internet. 80% de la population européenne est connectée. Une personne sur 7 dans le monde est active sur Facebook. 1 Mrd l’utilise chaque jour. 80% des journalistes utilisent Facebook ou Twitter pour travailler, enquêter et publier.

Tout cela a évidemment un impact immense sur la façon dont les programmes sont consultés et appréciés.

D’autant plus que les grands players, comme YouTube et Google, conditionnent les choix du public. Leur moteur de recherche et leurs algorithmes mettent en avant certains contenus, en condamnent d’autres. Tout cela n’est pas innocent. Il faut maintenant payer pour pouvoir exposer les contenus, les montrer au public.

C’est là que les diffuseurs publics ont une grande responsabilité.

Ils doivent se battre pour garantir un accès libre et non orienté aux contenus, à la création, à la surprise, à l’imprévu.

Ils doivent garantir à leurs publics que les données personnelles qu’ils déposent sur leurs plateformes seront protégées.

Ils doivent garantir le libre choix et le respect de la sphère privée. C’est un enjeu majeur.

 

Parce qu’en face, les géants ne sont pas des amateurs !

On parle toujours de YouTube, Amazon et Facebook. Mais il faut noter que la capitalisation de Netflix a dépassé, en quelques années, celle de CBS, qui opère pourtant le plus grand réseau de télévision américain. Aujourd’hui, Netlflix peut investir plus de 10 Mio de dollars par épisode pour lancer une série mondiale. Et il fait très bien, avec une interface et une « expérience utilisateur » que beaucoup de broadcasters publics européens peuvent envier !

UPC Liberty Global, un géant de la distribution par le câble, est maintenant en train d’acheter des producteurs de contenus européens très performants, comme All3media en Angleterre.

On se souvient que Jeff Bezos a pris le contrôle, il y a quelques temps, du vénérable Washington Post.

Quant au géant Google, ou Alphabet devrait-on dire aujourd’hui, il investit dans la technologie, dans la distribution, dans la génétique, dans les robots. Google est partout. Il connecte la société, les objets.

10% des voitures sont connectée à internet aujourd’hui. Elles le seront toutes dans quelques années. Cela aura bien sûr un énorme impact sur notre façon d’écouter la radio, de communiquer ou de trouver notre chemin !

 

Car l’autre dimension de cette révolution digitale, c’est la transformation rapide et radicale du comportement du public.

Il n’y a pas si longtemps, le public était fidèlement au rendez-vous que fixaient les grilles de programme. A l’heure dite, sur une chaîne précise.

Aujourd’hui, nous passons d’une logique linéaire, verticale, par chaîne à une logique horizontale, à la carte et par thème. Cela demande aux services publics de repenser leur organisation et leur processus de production. Aujourd’hui, par exemple, une rédaction culturelle, ne doit plus produire des contenus que pour une émission, sur un média ou sur une chaîne de radio ou de tv. La rédaction culturelle alimente différentes émissions, sur différentes chaînes de radio et de tv, elle propose des contenus sur le web et les pousse sur les réseaux sociaux.

Sacré changement ! Mais c’est la condition pour garder le contact avec les jeunes publics qui ont une relation complètement différente avec les médias.

 

Un autre défi concerne les entreprises de service public elles-mêmes.

Les bonnes vieilles organisations de service public, qui ont parfois de grandes difficultés à s’adapter à cette société connectée, rapide, imprévisible.

Les organisations sont stratifiées. Elles sont le fruit de 60 ans d’histoire. Les services publics sont organisés par métiers cloisonnés, ils essayent de planifier leurs ressources, ils sont solides, mais aussi, parfois, un peu lourds et lents.

L’expérience a une grande valeur, il ne faut absolument pas la mépriser. La RAI, la BBC, France Télévisions et Radio France, la Radio Télévision Suisse, ARD et ZDF, sont des belles marques qui méritent le respect.

Mais il faut adapter les entreprises publiques. Les ouvrir, repenser les modes de production, accepter la mise en danger. Accepter l’innovation, même si elle vient de l’extérieur. Collaborer avec la production privée. Les entreprises publiques doivent jouer un rôle moteur dans l’écosystème médiatique de leurs pays.

Les partenariats public-privé doivent se multiplier. Partout en Europe, les services publics sont combattus. Les redevances sont mises en question, le développement numérique aussi. De nombreux pays limitent l’accès au marché publicitaire pour le service public.

L’avenir est plus dans la création et le partage de nouvelles richesses, que dans le combat pour maintenir les parts d’un gâteau historique qui se réduit inéluctablement.

Il ne faut pas se tromper de combat.

 

Le troisième grand défi touche le cœur même du service public,  la conception et à la fabrication des programmes.

La société connectée et digitale agit aussi sur le processus d’apprentissage, sur les processus cognitifs. Il faut adapter les écritures, les rythmes, la narration des émissions. Il faut réinventer le storytelling des programmes.

Il faut connaître les humeurs des publics, leurs envies. Mieux connaître leurs biorythmes.

Il ne s’agit pas de chercher à tout prix à répondre à toutes les demandes. Le service public doit continuer à proposer une lecture du monde, des valeurs.

Mais il doit mieux intégrer le public, jouer la carte du participatif. Nous devons entrer plus et mieux en dialogue avec la société. L’époque du « top down » avec un producteur tout puissant qui assenait sa vérité à une audience soumise, est révolue.

Le public peut contourner les rédactions, les interpeller, les contester, les ignorer.

Nous ne sommes plus dans un rapport de force, mais dans un rapport de confiance.

 

Il est donc primordial de constamment repenser nos programmes. D’en parler, d’en discuter et de les comparer avec toutes les télévisions et radios de service public.

C’est là notre force et c’est là tout l’intérêt du Prix Italia. Il faut identifier les expériences de qualité, et les saluer.

Savoir-faire et faire savoir !

 

Gilles Marchand

 

Discours prononcé à Turin le 24 septembre à l’occasion de l’élection à la présidence du Prix Italia.

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