Gilles Marchand

Lamentable, la télévision ? Non, et parlons-en !

Depuis deux ans et l’adoption de la nouvelle Loi radio télévision (LRTV), la SSR est sous le feu des critiques. On reproche ici à la télévision d’être dirigée comme une entreprise privée, on condamne là, au contraire, les pesanteurs administratives bernoises, ou encore plus loin les dérives de la politique-spectacle.
Pire encore, la SSR, ses télévisions, n’écouteraient pas les critiques publiques, tout en étant pourtant obnubilées par les demandes de l’audience. Bref, une fois de plus la SSR s’isolerait dans sa tour d’ivoire.

Et bien non ! En fait de tour, il y a plus d’amiante que d’ivoire dans celle de la TSR qui est en pleine rénovation. Un vaste chantier à l’image des grands travaux que doit conduire la télévision pour imaginer son avenir. Et ces grands travaux suscitent le débat, interpellent la classe politique, le public. C’est normal. Ce débat est légitime, utile. Il n’a pas été vraiment mené lorsque la Loi sur la radio et la télévision a été adoptée. Comme souvent en Suisse, les passions se sont exprimées avec virulence lorsqu’il a été question d’argent, de redevance. Mais pas grand chose sur le fond, sur le mandat, sur les enjeux de l’audiovisuel public en Suisse. C’est frustrant aussi bien pour les politiques que pour les professionnels de l’audiovisuel. Alors discutons.

La SSR est-elle devenue une « usine à gaz »?

C’est un peu trop simple. La SSR à Berne conduit la politique globale du groupe et arbitre les moyens entre les régions. 70% des recettes de la SSR sont issues du marché alémanique, qui n’en garde que 40%. C’est vite vu, sans cette « clé Hélvétia » de répartition, il n’y aurait plus de télévision au Tessin et une demie TSR. Le contrôle des finances de la SSR mené récemment par le département de Moritz Leuenberger l’a montré clairement : l’entreprise est bien gérée, mais le fédéralisme qui permet à chaque région linguistique de garder une infrastructure de production, des contenus différentiés, coûte cher. C’est vrai.
Mais veut-on le retour du TJ à Zurich ? Quel appauvrissement culturel cela serait pour les francophones et les italophones.
Alors peut-on gérer cet équilibre régional fragile avec moins de monde à Berne ? La direction générale de la SSR est composée d’une soixantaine de collaborateurs. Ce n’est pas démesuré, tout a fait comparable aux groupes de presse nationaux comme Ringier par exemple. Ce qui est plus complexe, sans doute, c’est la structure institutionnelle qui se superpose et qui encadre le management de la SSR. Mais cette institution, expressément souhaitée par le régulateur, est aussi celle qui garantit la représentation du public, les sensibilités régionales.
Le fait est que la SSR produit et diffuse 7 chaînes de télévisions et 16 radios en 4 langues… avec le budget de la seule France 2 ! C’est aussi cela la réalité suisse.

La couverture des élections fédérales a-t-elle été « lamentable » ?

La TSR a consacré des dizaines heures d’émissions spéciales, de différents formats, en prime time, dans tous les cantons. Des dizaines de candidats et de responsables politiques ont été invités sur les plateaux. L’équilibre politique a été soigneusement respecté par des journalistes compétents. Le public a suivi en nombre cette offre exceptionnelle, qui, à l’évidence, a contribué au débat citoyen.
La télévision est-elle responsable du rythme de la campagne de l’UDC ? S’est-on interrogé sur la lisibilité des différents discours politiques ? Est-ce sous l’influence de la télévision suisse que le « Courrier International », qui recense les éditoriaux de la presse internationale, titre en une la semaine dernière « pauvre Suisse » ? Bien sûr que non.
Mais il y a le messager, particulièrement la télévision, sur lequel il est parfois si commode de tirer lorsque le message qu’il délivre est décevant.

La télévision n’est-elle plus qu’un spectacle superficiel ?

Ce qui est certain, c’est que la télévision a changé de rythme, d’écriture… et de publics ! Ce changement s’est accéléré depuis une dizaine d’année. Et en effet les échanges sont plus vifs, plus tendus. Cela vaut pour le débat politique comme pour l’information, la fiction ou le divertissement. Est-ce pour autant superficiel et réducteur ? Certainement pas. Les acteurs de la société civile, de l’économie, de la politique ont appris à maîtriser ce nouveau rythme. Ils en jouent parfaitement. Ce qui explique d’ailleurs en partie les tensions évoquées plus haut.
Le pari que tente de relever, avec plus ou moins de bonheur de la TSR, c’est de proposer des contenus intéressants, qui utilisent les écritures, les codes télévisuels contemporains capables de concerner un large public.
Connaissez-vous beaucoup de chaînes généralistes qui proposent tous les soirs un magazine d’information ou de société à 20h00 , qui offrent des documentaires ou des émissions culturelles pointues à des heures de grande écoute, qui proposent des débats d’actualité (Infrarouge) tout en maintenant des rendez-vous plus institutionnels réguliers (Classe politique)? Pas moi.

La télévision est-elle dirigée comme une entreprise privée ?

Oui et non. Il y a là un paradoxe très intéressant. D’une part, on demande, à juste titre, aux services publics d’adopter des gestions rigoureuses et efficaces. C’est normal, nous sommes dépositaires d’argent public et devons rendre des comptes. Mais d’autre part on demande en même temps au service public de prendre en considération des intérêts collectifs qui ne sont absolument pas « rentables ». Et c’est normal aussi.
L’exercice est encore plus complexe lorsqu’il s’agit d’une situation mixte comme celle de la TSR, qui se finance en partie dans le marché (30% de recettes commerciales) et via la redevance. Ce financement mixte, voulu par le régulateur, impose un certain succès, de l’efficacité. Et il faut dire aussi que sans cette exigence de résultat, les chaînes françaises s’installeront définitivement dans le marché suisse romand, TF1 en tête. Sans pour autant se soucier une seconde de nos réalités culturelles et politiques. Alors oui, c’est un combat et armes – budgétaires – inégales. Et quelques soient leurs qualités actuelles et futures, ce ne sont pas les télévisions locales qui pourront résister à ce tsunami audiovisuel français !
Nous nous soucions donc des parts de marché. Pas en soi, pas pour rendre des comptes ou des profits à des actionnaires ! Mais parce que ces résultats quantitatifs expriment aussi la légitimité de notre activité. Quelle serait la pertinence d’une redevance pour un public qui ne suivrait plus ses programmes de radio et de télévision ?

Et demain ?

Retour aux grands chantiers évoqués plus haut. La télévision traverse une époque charnière, passionnante, compliquée. Elle doit réinventer en permanence, de plus en plus vite, sa grille de programme. Elle doit numériser son outil de production, migrer vers la haute définition, offrir aussi de la souplesse, de la mobilité, de l’interactivité. Elle doit sauver ses archives, sa mémoire audiovisuelle tout en se projetant dans un avenir incertain. Car il est incontestable que la télévision, l’image, sera partout demain. Sur tous les écrans, à tout moment, pour tous les publics. Demain, la TSR distribuera ses contenus de multiples manières.
En fait, la TSR est déjà au rendez-vous de cette révolution digitale. Elle a changé avec une grande partie de son public. En devançant peut-être un peu les observateurs avisés qui scrutent la société romande, ainsi que certains acteurs de la vie publique, aux affaires depuis longtemps.
Est-ce là une source du malentendu actuel ? Discutons-en sereinement. Le jeu en vaut la chandelle, car l’audiovisuel joue un rôle certain dans notre identité partagée !

Gilles Marchand

Réponse à Jacques Pilet dans l’Hebdo, octobre 2007

Compléments multimédia

Audio

Jusqu’où peut-on diminuer la redevance sans nuire au service public? La Première : Forum, 17.05.2011

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