Gilles Marchand

Rendez-vous dans 50 ans !

Texte officiel du livre du 50ème anniversaire de la TSR, Décembre 2003.

C’est une évidence rarement démentie depuis un demi siècle : la TSR incarne la Suisse romande, dans toute sa richesse, sa complexité et ses paradoxes !

Voilà une chaîne qui s’adresse à moins de 2 millions d’habitants, et qui arrive à proposer une grille généraliste, à offrir de l’information, de la fiction et du divertissement ! Comment cette si petite chaîne – à l’échelle européenne en tout cas – arrive-t-elle à garder un outil de production intégré complet ? Pourquoi la TSR est-elle aussi connue et respectée que France Télévision, TF1, Radio Canada ou la RTBF, sur les marchés audiovisuels internationaux ?

Le fait est que depuis 50 ans, la TSR accompagne, parfois précède, la société romande. Une société plurielle, où coexistent des appartenances cantonales bien sûr, mais qui aujourd’hui intègre aussi de nombreuses autres cultures. Un mélange remarquablement pacifique, qui donne toute la saveur de cette région francophone, mais qui en complique singulièrement la lisibilité. L’identité romande est ainsi complexe, multiple, difficile à rassembler autour de quelques bannières.

Une relation invisible, sans cesse renouvelée

Cette complexité se retrouve dans la subtile alchimie qui préside à la confection de la grille des programmes de la TSR. Une grille plurielle, faite de contenus très variés. Une grille généraliste qui doit intéresser un public multiple, fasciné par les programmes des chaînes françaises, mais qui tient à se retrouver, presque à se compter, sur sa chaîne romande.
La barre est ainsi placée très haut. La complexité de l’identité romande ne permet pas à la TSR de surfer sur quelques sentiments partagés par tous. Et le public romand compare sa télévision aux offres des puissantes chaînes françaises, TF1 en tête.
Pourtant, depuis 50 ans la TSR occupe une place particulière dans le cœur des Romands. Depuis 50 ans, avec quelques infidélités bien normales et quelques coups de gueule mémorables, les Romands aiment et soutiennent leur télévision. Il y a donc bien une relation spéciale, invisible, sans cesse renouvelée. C’est cette complicité non-dite qui est au cœur de tout. Et c’est sans aucun doute dans sa capacité à la maintenir que la TSR construira son avenir. Quelles en sont donc les prémices ?

Plus les romands sont gâtés… plus TSR doit se professionnaliser !

Le public romand est gâté. Très gâté même, avec une offre médiatique hors du commun. La presse écrite romande, très nombreuse et diversifiée, est de grande qualité. Les radios sont omniprésentes, chacun pouvant aisément trouver sa station préférée. Le pouvoir d’achat moyen permet au plus grand nombre de se jeter dans les délices de l’interactivité, internet et téléphonie mobile en tête.
Quant à la télévision, l’offre est quasiment infinie compte tenu du taux de couverture du câble, de l’avènement du satellite et du maintien de la distribution hertzienne.
La compétition est donc sans pitié, les chaînes françaises sont reçues dans toute la Suisse romande et plus de 60% de la consommation télévisuelle en Suisse se porte sur des chaînes étrangères. Au-delà de la lutte concurrentielle, cette situation inédite en Europe, témoigne de la lourde responsabilité qui pèse sur la TSR.
Car si personne ne peut revendiquer le monopole de l’identité régionale, l’affaissement, ou pire la disparition d’un audiovisuel romand, aurait des conséquences sans doute catastrophiques pour la société romande. De Delémont à Genève en passant par Vers-chez-les blanc, Martigny, Fribourg, Moutier, La Neuveville ou La Chaux de Fonds… La TSR est ainsi condamnée au succès, dans un environnement pour le moins mouvant.

La distribution est devenue un argument stratégique décisif. Elle sera accompagnée par des services additionnels à la télévision, sur différents écrans, et un développement des technologies interactives favorisé par les nouvelles générations de téléviseurs (mobiles, équipés de disques durs de stockage etc…). Les conditions de production ont également changé. L’explosion du nombre de chaînes a entraîné le développement d’un marché de productions indépendantes, particulièrement en France. Ce nouveau marché impose une sévère révision des standards et des coûts de production. Parallèlement, l’évolution technologique – la numérisation – demande une adaptation assez fondamentale de l’outil de production dans les chaînes qui, comme la TSR, maintiennent un outil interne.
Les années 2000 ont aussi montré l’importance de la publicité. Elle pèse lourd et est incontournable dans le financement des télévisions, y compris du service public. Et la globalisation des marchés a des effets « collatéraux » dangereux et pervers, comme l’ouverture, par les chaînes de télévisions étrangères, de fenêtres publicitaires en Suisse. Tels des prédateurs modernes, ces fenêtres bouleversent les conditions cadre d’un marché en y ponctionnant sans vergogne sa richesse. Enfin, les droits de diffusion des programmes (fiction et sport en particulier) connaissent actuellement une inflation dont nul ne peut prévoir aujourd’hui l’évolution.

Efficacité et système D

Dans ce contexte, la TSR n’a d’autre issue que de se professionnaliser, dans ses structures comme dans son fonctionnement. Cette exigence absolument indispensable devra pourtant se réaliser sans casser une culture d’entreprise quasi familiale ou la polyvalence et le « système D » sont élevés au rang d’œuvre d’art et sans lesquels, il faut bien le dire, la TSR ne serait pas ce qu’elle est. Résoudre ce paradoxe n’est pas le moindre des défis qui attend la TSR ses prochaines années. Mais ce n’est pas l’essentiel.
Le professionnalisme n’est qu’un préalable. Il n’a de sens que s’il sert un projet, une ambition. Et là se confond à nouveau le futur de la TSR avec celui de la Suisse romande. C’est dire si l’exercice prévisionnel est difficile ! Essayons pourtant d’en dessiner quelques pistes .

La TSR est une télévision…Suisse !

Il y a en Suisse romande une sorte de modernisme décontracté qui semble s’installer, faisant sauter quelques bonnes vieilles certitudes. Ce modernisme se traduit par une complète ouverture au monde – et donc au reste de la Suisse ! – mais ne  signifie pas un rejet de l’ancrage local. Ce n’est plus l’un ou l’autre. La Suisse romande ne se construit pas contre la Suisse alémanique. Il n’y a plus d’un côté le conservatisme, figé dans ses traditions, contre le mondialisme branché. Il n’y a plus non plus d’abîme entre le succès ou la performance et la convivialité sociale. Ce sont là de vieux combats, de vieilles dualités !
Dès lors, la télévision suisse romande ne doit pas se cantonner dans des frontières thématiques, culturelles et géographiques que personne ne lui fixe.
Bien sûr la TSR s’adresse aux Romands et continuera à le faire. C’est sa raison d’être. Mais la TSR est une télévision suisse, qui concerne une population de francophones qui s’intéressent autant à ce qui peut se passer à Lausanne qu’à Zurich, Berne, Paris ou Londres.
On peut passer un après-midi à Aproz (VS) pour y suivre le combat des reines, puis prendre un avion pour Paris le lendemain, rentrer ensuite par Zurich et y trouver avec plaisir le quotidien « 24Heures » à la gare. On peut étudier à l’EPFL et jouer dans une fanfare villageoise. On peut faire la fête à Genève et y parler en anglais avec des Saint-gallois.

Les segmentations sociales sont nouvelles. Et la télévision doit les exprimer.

Après la confrontation, voici donc peut-être une nouvelle sorte l’intégration. Et la Suisse à une sacrée expérience à faire valoir en la matière !
A la télévision de le montrer avec ses programmes, comme elle montrera que la compétence, le savoir-faire, le travail bien fait, si chers au « peuple des ingénieurs », peut s’accompagner d’innovations et d’audaces !

La TSR est bien une télévision suisse, ouverte, plurielle, décontractée et professionnelle.
Rien de tout cela n’est incompatible. Rendez-vous dans 50 ans pour en reparler !

Gilles Marchand

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