Gilles Marchand

« Ah non, vous n’allez quand même pas changer ça !»

Les bouleversements, ce n’est pas ce qui manque en ce moment aux journaux, aux chaînes de TV ou de radio.

C’est bien connu, il est urgent d’attendre.

Cette maxime veille comme le monde a encore des adeptes, y compris dans le monde des médias, pourtant aux avant-postes lorsqu’il s’agit d’observer les changements des autres. Et les bouleversements, ce n’est pas ce qui manque le plus en ce moment aux journaux, aux chaînes de TV ou de radio, touchés par une triple pression, redoutable.

Il y a d’abord la pression digitale qui fait changer tous les comportements médias, on le sait. Mobilité, picorage, curiosité, ubiquité, voilà aujourd’hui le quarté gagnant. Avec en plus l’ombre grandissante du «pay per view» qui veut que l’on ne paie strictement que ce que l’on consomme. Et tant pis pour la solidarité, entre régions, entre médias, entre programmes, entre articles.

Il y a ensuite la pression économique. Le marché suisse est minuscule, régional et linguistique. Les places y sont chères et à défaut de coopérer, les acteurs nationaux s’arrachent les miettes d’un gâteau que les chaînes allemandes, françaises et les plates-formes Web internationales dégustent avec gourmandise.

Il y a enfin la pression plus politique, qui souffle ici ou là en Europe. En témoigne la véritable mise au pas des médias publics en Hongrie et en Pologne, exemples consternants et heureusement encore incongrus sous nos latitudes.

Toujours est-il que l’on ne peut pas rester immobile face à tous ces mouvements de fond. Il faut d’abord parler de la coexistence entre les médias suisses, dans leur petit territoire ouvert à tous les vents de la concurrence internationale. Ce débat est programmé pour cet automne. Il est attendu et sera vif. Tant mieux, espérons qu’il permette un rebond utile. Il faut aussi parler d’argent et de la publicité, le nerf de la guerre médiatique, en train de déménager avec armes et bagages sur les vecteurs numériques. Ici pourrait-on sûrement imaginer de mutualiser les forces, de créer de la richesse, de coopérer entre médias dans notre espace économique national. Il y a moyen de faire plus et mieux, au moins au niveau régional. «Tout mais pas ça!»

Et puis il faut bien sûr inlassablement repenser les contenus, revoir les programmes. Notamment lorsque les contractions budgétaires s’en mêlent. Rien de très nouveau, c’est la règle d’or du métier, tous médias confondus. Point de salut dans l’immobilisme. Curieusement, c’est pourtant souvent là que cela se gâte. Chacun convient bien volontiers qu’il est normal de s’adapter, de repenser le fond et la forme des programmes, des rubriques… pour autant que cela ne le concerne pas directement.

A chaque annonce de changement, à chaque intention à peine envisagée, pleuvent les réactions, parfois mesurées souvent outrées. «Ah non, vous n’allez quand même pas changer ça!… Tout mais pas ça!»

On ne concocte jamais rien de bon sous pression, quelle que soit l’intention qui l’anime

Aujourd’hui, le contact est direct, la mobilisation facile, l’indignation s’enflamme vite. Les réseaux sociaux rivalisent avec les bonnes vieilles pétitions, qui pourtant bourgeonnent en ce moment, dans tous les domaines. Les émissions religieuses, la littérature, les musiques. En d’autres occasions, les sportifs ont aussi la réaction rapide.

Bien sûr, il n’est jamais facile de changer les habitudes. Aussi bien pour ceux qui conçoivent et fabriquent que pour ceux qui lisent, regardent ou écoutent. Alors on peut certes considérer ces réactions, parfois épidermiques, comme des marques d’attachement bienvenues. Il faut en tout cas les entendre.

Mais, faut-il le rappeler, on ne concocte jamais rien de bon sous pression, quelle que soit l’intention qui l’anime.

L’indépendance dans la conception d’un programme, d’un journal ou d’une émission, c’est l’ingrédient de base de la cuisine médiatique. Il mérite tous les combats. De ce point de vue, et c’est bien le seul, il est urgent d’attendre avant de remettre cela en cause!

Article initialement paru dans le « Matin Dimanche » du 07.02.2016

3 réponses à “« Ah non, vous n’allez quand même pas changer ça !»”

  1. Aussandon Christelle dit :

    Bonjour,
    Votre article fait écho à l’expérience de la transformation de la rédaction de la radio RTL, première audience en France sur la matinale. Après des mois de pression syndicale,d’opposition entre les anciennes et les nouvelles méthodes de travail,la culture interne de l’entreprise…la compréhension de la nécessité du changement a fini par triompher. Les clés sont souvent la communication et la clarté des projets proposés aux équipes.

  2. Gilles Marchand dit :

    Merci pour votre commentaire. En effet, la communication et le partage du constat de départ sont essentiels à tout changement.

  3. AUSSANDON Christelle dit :

    La transformation digitale impacte les environnements de travail et contraint les équipes à déployer une agilité nouvelle. Je suppose qu’un groupe audiovisuel public fait face à des lenteurs structurels qu’il est difficile de réformer. En regardant votre site, je pense qu’il serait intéressant de renforcer une politique de marque pour chacune de vos entités.

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