Gilles Marchand

L’atomisation des médias

Les médias s’atomisent c’est un fait. Mais la Suisse, comme son service public, avec son système fédéraliste et décentralisé sont particulièrement adaptés à la nouvelle société 2.0. Voici une série d’arguments tirés d’un débat contradictoire avec Jean-Louis Missika en janvier 2007.

Une nouvelle donne média s’installe. Elle touche en particulier les jeunes générations, qui ne consomment plus les médias comme avant.

La question est de savoir quel rôle peut jouer la télé dans cet univers. On distingue pour cela

  • les chaînes thématiques
  • les chaînes commerciales généralistes
  • les chaînes du service public généralistes

Et là, il faut préciser le contexte.
En suisse, l’atomisation est présente depuis longtemps, avec des centaines de chaînes diffusées par le câble (qui touche 80% de la population). Seuls 10% de la réception est analogique hertzienne. Situation inverse en France avec la découverte de la TNT.
En Suisse, le contexte linguistique fait que la télévision est de facto le principal véhicule identitaire (dialectes en suisse alémanique et Tessin, culture francophone minoritaire pour la suisse romande).
Cela dit, il y a aura atomisation.
Le service public doit rendre compatible cette nouvelle donne avec son mandat, sa mission, dont une des composantes et non la moindre est la contribution au débat démocratique, à l’intégration, au sentiment d’appartenance.

Dans tous les cas, le service public doit se préparer à un développement double, apparemment contradictoire :

  • le linéaire, de haute qualité (HD, 16/9ème…) pour des grands rendez‐vous de direct, des moments de spectacle vécus ensemble, en même temps (sport, fiction…)
  • le non linéaire, mobile (VOD), interactif, souple.

Ce deuxième niveau est difficile à vivre pour les TV qui perdent une sorte de prééminence du savoir‐faire audiovisuel. Les pros de la télé ne sont plus les magiciens qui savent et qui amènent le monde dans les salons. D’autres le font, aussi bien qu’eux. Pire, les téléspectateurs s’y mettent aussi.
La vraie révolution, c’est que pour la première fois, un touriste amateur rentre de vacances avec film HD qu’il passe sur sa TV et qui est de meilleure qualité que ce que lui offre sa chaîne préférée.
C’est une révolution culturelle pour la télévision et ses corporations / corporatismes.

Ce développement est compatible avec le mandat, le rôle du service public

Le service public peut et doit investir dans des grands moments collectifs, rassembleurs (sport, spectacle populaire, co‐production de fictions).

Le service public peut et doit aussi accompagner l’évolution digitale de la société (investissements technologiques, savoir‐faire). Exemple de NHK et de son centre de recherche.

Ainsi, le service public cultive le sentiment d’appartenance (vivre ensemble quelque chose en même temps, dans un espace commun) et intègre (idéalement) les communautés qui co‐existent.

Le service public est prêt à l’interactivité, à la participation. Pas seulement sur l’info mais aussi dans le divertissement (voting…).

Le service public favorise ainsi l’existence d’un nouveau débat public, d’un espace participatif virtuel.

Ce double effort permet aussi de cultiver un ancrage culturel, tout en utilisant des outils totalement désancrés.

Condition sine qua non : la loi doit permettre au service public d’investir tous les écrans, toutes les distributions, pour attendre tous les publics.

Partout en Europe, la régulation est timide pour le service public. Crainte de distorsion de concurrence (spécialement en suisse). Lobby des éditeurs et des acteurs privés.
Même si le service public peut se développer sur toutes les distributions, encore faut‐il que les infrastructures nationales existent, soient performantes (haut débit…).

Ce développement est une chance pour le service public

Le brouhaha ambiant consécutif au multimédia rend parfois inaudible les contenus. Le besoin se faire sentir d’un émetteur de confiance. Un émetteur qui est régulé, qui rend des comptes. Un émetteur qui garanti la traçabilité des infos qu’il signe, qui respecte la protection de la personnalité, qui vérifie les sources….

Le service public est régulé. Il doit appliquer cette régulation sur tous les écrans qu’il utilise. En ce sens, il peut représenter un repère dans ce monde mouvant.

Le service public va passer – progressivement – d’une logique de chaîne linéaire à une logique de contenus audiovisuels, qui existent indépendamment de leur grille.

Et alors ? Le service public va alimenter l’espace public par ses contenus. Il reste hautement légitime, d’autant plus qu’il ne cherche pas de profit.

En résumé, le service public doit pouvoir miser sur tous les outils, tout en misant sur son caractère identitaire. Oui, les gens vont regarder la tv sur internet, oui les audiences vont se fragmenter. Mais l’élément fédérateur ne va pas disparaître si le contenu est identitaire.

Gilles Marchand

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