Gilles Marchand

Audiovisuel public romand : adaptons le modèle !

Le projet de « convergence » entre la RSR et la TSR fait couler beaucoup d’encre.
Cette réflexion stratégique s’inscrit dans un paysage média qui évolue très vite et dans un contexte culturel romand agité depuis quelques temps par de nouvelles réflexions, de nouveaux projets.

Les coopérations entre Vaud et Genève changent de rythme et affichent de belles ambitions. Les cantons de l’Arc jurassien envisagent de s’unir. Les savoirs, les sciences, les écoles, les universités se connectent et s’organisent. De multiples domaines cherchent à mieux travailler ensemble.
Ces transformations ne sont pas le fruit du hasard, mais l’expression d’un espace qui prend conscience de ses possibilités, de sa force culturelle, scientifique, mais aussi économique, n’ayons pas peur de le revendiquer au plan national !
Un espace qui réalise aussi qu’il ne peut pas rester morcelé et affronter en ordre trop éclaté les innombrables défis à venir.

La réforme de l’audiovisuel public qui s’engage aujourd’hui s’inscrit à 100% dans ce mouvement des idées et des structures.

Mais l’audiovisuel public est sans doute l’un des secteurs les plus complexes à réformer car la radio et la télévision touchent à la sphère personnelle, intime même, de chacun. Nous avons tous une relation particulière et unique avec les médias, donc un avis tranché sur leur contenus ou leurs programmations. Mais l’audiovisuel assure en même temps des liens culturels collectifs essentiels. Nous nous reconnaissons tous, plus ou moins, dans nos médias.
Enfin, l’audiovisuel public génère un intérêt politique indiscutable et bien compréhensible. Nous en avons eu quelques témoignages ces derniers jours…
Réformer dans ce contexte n’est donc pas une mince affaire.

3 grandes nécessités nous incitent pourtant à agir

Repenser le modèle d’entreprise

Le modèle économique de l’audiovisuel public devient fragile : les recettes commerciales baissent, pour des raisons d’ailleurs autant conjoncturelles que structurelles, et celles de la redevance, au mieux plafonnent. En tous cas à court terme et dans le contexte actuel.
Il nous faut donc diminuer encore nos charges de structures pour redéployer dans les programmes. Comme tout entrepreneur ou toute collectivité publique, nous devons utiliser les moyens existants de manière encore plus efficace, définir encore plus clairement les priorités. Nous devons pouvoir décider et agir plus vite, faire évoluer nos métiers.
Cette réforme est aussi nécessaire parce que nous devons trouver les moyens de maintenir un niveau de production suffisant pour assurer aussi bien notre mandat, que nos positions dans le marché. Ce qui distingue nos chaînes sur le plan concurrentiel, tant en radio qu’en télévision, c’est certainement le volume et la qualité de nos productions originales.
Des productions romandes capables de soutenir la comparaison avec celles que proposent les puissantes chaînes généralistes françaises ou les chaînes thématiques et communautaires qui déferlent par centaines dans notre région.

Gagner en intelligence et en impact

Entre les familles historiques de médias, la confusion grandit. La télévision propose des développements écrits sur le web, grâce à l’intégration du télétexte dans les studios TV. La radio numérique songe à enrichir ses contenus avec des images, plus ou moins animées. La presse écrite offre aujourd’hui de la vidéo interactive.
Tout le monde propose un peu de tout, tout le temps. Les contenus globalisés se mélangent avec les contenus locaux. Et les concurrences se multiplient. Les publics sont sur-sollicités.
En favorisant les collaborations entre radio et télévision, dans les domaines de programme où cela fait sens, bien entendu, nous pouvons gagner en intelligence. C’est à dire développer la qualité intrinsèque des contenus diffusés par la confrontation des idées, des expériences, des savoirs-faire de nos équipes.
Nous voulons et pouvons aussi gagner en impact, favoriser la perception et la visibilité de nos programmes de radio comme de télévision, dans ce marché de plus en plus encombré.
C’est un thème sensible. Cette collaboration entre média va-t-elle uniformiser les contenus et les approches, gommer nos aspérités et saveurs spécifiques ? En aucune manière !
Des collaborations intelligentes n’affaibliront en rien la diversité de nos programmes et de nos approches journalistiques. D’abord parce que cette diversité existe déjà pleinement à l’intérieur même de nos médias et fait partie de notre ADN.
Nos journaux télévisés, nos émissions de radios, nos magazines d’information multiplient les approches variées, les regards croisés et les langages radicalement différents. Nos journalistes et nos créateurs sont en permanence dans des stimulations et des concurrences internes qui les portent et que nous valorisons, tant à la radio qu’à la télévision.
Au nom de quoi voudrions-nous renoncer à cette diversité qui fait notre force ?
Ensuite, faut-il le rappeler, nous appartenons déjà à la même entreprise, au même groupe SSR. La RSR et la TSR ont d’ailleurs déjà été réunies à d’autres époques, sous d’autres modèles. Et franchement, on ne peut pas dire que les télévisions ou les radios de la SSR développent une approche uniforme. Il n’y a pas de télévisions plus différentes que la TSR et sa consœur alémanique SF, dans le fond comme dans la forme. Il en va de même pour la RSR et la DRS ! Tout simplement parce que la SSR comprend et respecte les références culturelles différentes qui caractérisent les marchés dans lesquelles elle agit.

Soutenir l’espace culturel romand sur la scène nationale et francophone

La Suisse romande a besoin d’une offre audiovisuelle publique solide, de qualité. Pour accompagner sa vitalité et sa créativité culturelle, économique, sociale, politique. A l’évidence, notre destin est lié à celui de notre région. Ses transformations et ses réformes sont aussi les nôtres. Nous devons les comprendre, les accompagner, parfois les anticiper, et toujours les traduire dans nos métiers et dans nos entreprises.
Nous voulons contribuer au développement de la Suisse romande, l’aider à compter, tant au niveau national que dans l’espace de la Francophonie.
Cette ambition ne se résume pas aux querelles anciennes, et aujourd’hui un peu stériles, entre Genève et Lausanne. C’est de l’espace francophone suisse dont il est question. C’est d’ailleurs le sens du combat que nous avons mené et gagné pour que la Suisse occupe une place forte sur les programmes de TV5 Monde. Nos journaux télévisés sont suivis dans le monde entier. Notre actualité et notre regard sur le monde existent, tous les jours, en prime time dans toute l’Europe et sur d’autres continents. Incroyable et précieuse performance pour un petit pays qui n’est pas membre de l’union !
Mais rien de tout cela n’est acquis. Reformer le modèle d’entreprise, préparer nos programmes à un nouveau paysage média radicalement différent et soutenir l’espace culturel romand. C’est une vraie responsabilité. Mais une chose est sûre, il y a entre la Suisse romande, sa télévision et sa radio, un destin commun.

Gilles Marchand

Article paru aussi dans Le Temps, mai 2009

Compléments multimédia

Vidéo

Réactions de Gilles Marchand suite aux critiques adressées au projet de convergence de la SSR et de la TSR. 19:30 : Fusion TSR-RSR 25.11.2009;

Audio

Un pas de plus vers la fusion. La Première - Journal du matin, 23.04.2009

La convergence RSR-TSR est en route. La Première - Forum, 22.04.2009

Le gouvernement vaudois veut que la RSR reste à Lausanne. La Première - Forum, 15.01.2009

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