Les éditeurs ne doivent pas se tromper d’adversaires
Il est tout à fait certain que la presse écrite traverse une passe difficile, critique même. A la mauvaise conjoncture économique générale s’ajoutent une redistribution brutale des investissements publicitaires et une perturbation importante du marché consécutive au développement de la presse gratuite. Avec en toile de fond les mutations profondes que la nouvelle société de l’information provoque dans la relation entre les publics et leurs médias. Cela fait beaucoup en même temps.
Je comprends donc tout à fait que les éditeurs souhaitent rediscuter, avec les pouvoirs publics, des conditions-cadre dans lesquels ils évoluent. Et l’ancien éditeur que je suis est parfaitement convaincu que la Suisse a besoin d’une presse vivante, diversifiée, dans toutes les régions du pays. Parce qu’en effet, cette presse contribue à sa manière, au côté de l’audiovisuel public, à exprimer l’identité suisse, à permettre aux citoyens de ce pays de se faire une libre opinion et de participer pleinement à la vie démocratique du pays.
Mais pour autant, je souhaite que les éditeurs ne se trompent pas de combat.
Ce n’est pas en pariant sur l’affaiblissement de la SSR que la presse écrite trouvera une solution durable à ses problèmes.
Parce ce que l’audiovisuel public est lui aussi engagé dans un combat très difficile qui se joue non pas contre la presse suisse mais contre des diffuseurs très puissants, principalement allemands, français et italiens, qui distribuent leurs programmes sur tout le territoire suisse. Et chaque position de marché que perd la SSR est occupée immédiatement par un de ces diffuseurs, en audience comme dans le marché publicitaire. Et les télévisions privées régionales, qui pèsent toutes ensemble 1% de pdm en suisse romande, ne sont pas concernées par ce combat. La situation est encore plus tendue pour les acteurs suisses avec les nouveaux médias, Internet en tête, où la compétition mondiale se joue d’abord à coup de vidéos et d’images.
Un exemple concret ? Les fenêtres publicitaires.
En 2008, les chaînes de la SSR sont passées sous la barre des 50% de part de marché publicitaire. En Suisse romande, M6 déclare sur MediaFocus plus de 50 M de chiffre d’affaire réalisé dans le marché romand. Du coup, RTL9, TF1, Cartoon confirment leur intérêt pour le marché suisse. Normal, c’est tout bénéfice : ces chaînes n’investissent pas un centime en Suisse mais se re-financent en ponctionnant les ressources publicitaires locales. La TSR souffre, sans doute, mais résiste plutôt bien en valeur absolue grâce à ses parts de marché stables. Mais ces nouvelles possibilités publicitaires bouleversent profondément la structure des investissements publicitaires dans le marché romand, structure historiquement favorable à la presse écrite. Alors si la TSR reste à peu près stable, s’il y a de plus en plus d’investissement dans les médias électroniques et si la somme des investissements reste, au mieux, inchangée, qui risque de perdre ? La presse écrite bien entendu.
C’est pourquoi il me paraît important que l’audiovisuel public suisse puisse résister, tenir des positions de marché. Quitte à le laisser se battre sur plusieurs fronts, dans différents segments de marché. Viser son affaiblissement ne servira pas les intérêts de la presse écrite suisse. Imaginer des partenariats innovants, rassembler les forces des médias suisses, toutes familles confondues, partager les succès, voilà la stratégie gagnante. Pourquoi ne pas explorer cette perspective en priorité ?
Gilles Marchand
Article paru aussi dans Cominmag, Septembre 2009
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