Gilles Marchand

La ronde de l’été

C’est une lapalissade, un «marronnier estival»: la région romande a la chance de compter sur une offre culturelle exceptionnelle en été. Des grandes machines internationales comme le Paléo, le Montreux Jazz, le Verbier Festival, aux innombrables rendez-vous plus intimes ou plus pointus, nous avons l’embarras du choix en plaine comme en montagne, en ville comme à la campagne.

Mais, lorsqu’on se promène dans les coulisses de ces manifestations, on peut constater que rien ou presque n’est le fait du hasard. Il y a là au contraire des écosystèmes très sophistiqués, des mécaniques de grande précision, indispensables pour que le public puisse, en toute insouciance, se laisser aller au rythme de la musique et/ou des cocktails les plus variés. Quels sont les principaux ingrédients de la recette?

Il faut d’abord un positionnement clair de la manifestation. Elle ne peut ni ne doit trop ressembler à un autre rendez-vous de même nature, à moins de 200 km et dans les trois mois. Question donc de singularité et d’originalité!

Il faut ensuite une programmation bien dosée, bien rythmée. Quelques valeurs sûres qui rassurent, des découvertes qui alertent, le tout bien distillé sur la période, pour faire durer le plaisir (et répartir les entrées).

La localisation est ensuite un élément central d’identité. Les quais de Montreux sont au Festival de jazz ce que les champs coupés sont au Paléo, les sommets alpestres au Verbier Festival ou encore les ruelles lausannoises au Festival de la Cité. Il y a là l’espace, qui doit être en phase avec la manifestation, et bien entendu des autorités locales, qui doivent se montrer accueillantes, pour les artistes autant que pour le public et les retombées économiques qui en découlent. Quant aux voisins, on attend de la compréhension de leur part, encouragée par quelques tickets soigneusement accordés.

Après tout cela, il faut une bonne dose de logistique, si possible soutenue par des bénévoles dévoués, tout fiers de contrôler d’improbables accès ou de satisfaire de non moins improbables exigences d’artistes parfois mauvais coucheurs. Un événement se distingue aussi par ses transports publics, ses parkings, ses toilettes, la restauration et le prix de la bière!

Arrive alors le délicat plan de financement. Il y a certes les entrées, mais il faut des sponsors, des belles marques bien convaincues à réinvestir sur place autant que ce qu’elles ont payé aux organisateurs pour être associées à l’événement. Alors on crée de subtiles hiérarchies de partenaires, des «Gold brillants» au «bronze tout nu», des stratégiques aux logistiques, des gros aux petits. Et puis on organise ici une soirée spéciale, là une brève rencontre avec un artiste ou plus loin une distribution de «Pass VIP all access» qui pendent négligemment au cou des heureux élus.

Reste enfin l’ingrédient final et central. Celui qui donne la température et l’ambiance: le «buzz». Faut-il en être ou pas? Ou se montrer, avec qui, comment? Quel est le concert incontournable, «l’after» immanquable? Et pour cela, il faut les médias. Qui mettent en appétit, racontent dans leurs pages ou sur leurs antennes, qui invitent et mettent en scène leurs invités, bref qui alimentent le biotope culturel. Pour les (rares) manifestations qui peinent à remplir, les médias sont évidemment importants avant, pour attirer le public. Pour celles (plus nombreuses) qui sont quasi «sold out», les médias sont plus utiles pendant, pour faire monter la température et réassurer, si besoin est, les partenaires de poursuivre leur engagement.

Ainsi va la ronde de l’été, bon an mal an, pour la plus grande chance du public. Qui bénéficie donc d’une offre culturelle fantastique et miraculeuse, rapportée au bassin économique local. Nos invités étrangers en restent souvent bouche bée. Tant mieux, c’est excellent pour le rayonnement de la Suisse francophone!

Article paru dans Le Matin dimanche du 11 août 2013

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