Gilles Marchand

Programmer des séries américaines, c’est aussi défendre le service public

C’est un de ces sujets récurrents comme les régimes en été ou les impôts en hiver: la présence des ­séries américaines sur les grilles des programmes de la RTS est régulièrement débattue. Trop de séries américaines, trop bien exposées et peu compatibles avec le mandat de service public, affirment les uns. Un excellent choix, en avant-première et en VO, soutiennent les autres, qui pensent au contraire que le service public ne doit mépriser aucun public.
L’occasion donc de refaire le point.


C’est un fait, il y a de nombreuses séries américaines programmées sur la RTS. Est-ce compatible avec le mandat de service public? Sans aucun doute. Pour au moins trois bonnes raisons.

Il y a tout d’abord d’excellentes productions américaines. Bien réalisées, bien jouées, bien rythmées. C’est d’ailleurs aux Etats-Unis que se produit l’essentiel de la fiction mondiale. Est-ce problématique de les proposer au public romand? Oui, s’il n’y avait que cela. Non, si elles ne représentent qu’une partie d’une grille de programmes équilibrée dans laquelle toute la fiction ne pèse pas plus que l’information (28%). Preuve en est l’engouement qu’elles provoquent. Surtout si elles sont bien choisies et proposées avant tout le monde, en VO ou en VF, sur RTS Un ou Deux.
L’expérience de service public ne se limite pas à la production suisse. Celle-ci est certes décisive, essentielle même. Mais le fait d’apprécier et de suivre ensemble, voire de commenter un programme, d’où qu’il vienne, est aussi une expérience collective importante.

Et la série américaine à deux autres vertus cardinales pour la RTS.
D’une part, elle fédère un public important, qui se retrouve ensuite en nombre sur les rendez-vous de production suisse. Le 19:30 ne ferait pas régulièrement 60% de part de marché, les magazines comme « Temps Présent » , « Mise au point » , « ABE » , « TTC » ou « Passe-moi les jumelles » , pour ne prendre que ces quelques exemples, ne tutoieraient sans doute pas les 40% de part de marché si la RTS ne cultivait pas, patiemment, la fidélité de son audience, heure par heure, minute par minute. Avec l’aide précieuse de la fiction achetée, qui évite l’éparpillement d’une partie du public romand sur les écrans français, M6 et TF1 en tête.

D’autre part, il faut le dire, la fiction américaine représente un ­rapport qualité-prix imbattable dans le monde de la télévision. A 100 francs la minute sur le marché suisse, la fiction américaine terrasse la concurrence. La fiction suisse, portée par la production indépendante romande, se situe, elle, entre 12 000 et 15 000 francs la minute. Et c’est normal, et même très compétitif à l’échelle européenne.
Pourquoi la fiction américaine est-elle si bon marché? En fonction du volume produit et vendu dans le monde entier, effet de masse bien sûr.
Certes, répondent quelques-uns. Mais pourquoi lui offrir une telle exposition! Pourquoi ne pas mettre d’autres fictions, européennes par exemple, plus tôt?
D’abord parce que, pour main­tenir les excellents résultats d’au­dience de la RTS, il faut exposer en début de soirée ce qui rassemble le public et non ce qui le divise. Ensuite parce que, aujourd’hui, ceux qui veulent trouver des séries plus pointues les trouveront à partir de 22 h 30 sur la RTS, et à l’heure qui leur convient sur le site de la RTS +7. L’essentiel y est, pour tous les écrans, à toute heure!

Et, franchement, il n’est pas honnête de résumer l’offre de programmes et même de fiction de la RTS aux séries américaines.
Il y a d’abord les différentes cases de fiction réservées à la production européenne, notamment anglaise et scandinave. Ensuite, la RTS est la chaîne généraliste qui programme le plus de fictions francophones en Europe, devant les chaînes fran­çaises! C’est l’industrie française du film qui le démontre, statistiques à l’appui. Plus de 80% des téléfilms diffusés sur la RTS sont tournés en français.
Enfin, depuis trois ans, la RTS a lancé une politique assez audacieuse de séries suisses, avec la production indépendante romande. « 10  » , « CROM » , « T’es pas la seule », 1 et 2 , « L’Heure du secret » , 1 et 2, « Port d’attache » , prochainement « A Livre ouvert », et d’autres projets encore sont nés de ces initiatives. Avec, à la clé, une grande exposition en prime time, un savoir-faire qui se développe, des réalisateurs, des comédiens et des techniciens qui peuvent être fiers, avec la RTS, d’un tel succès public.
Et n’oublions pas non plus le cinéma suisse francophone, soutenu par la RTS, qui livre chaque année son lot de productions saluées par la critique suisse comme internationale. Lionel Baier ou Ursula Meier, pour ne citer que ces deux exemples emblématiques, illustrent parfaitement cette nouvelle veine, tout comme Elena Hazanov, Denis Rabaglia et Jacob Berger, qui disposent d’une carte blanche au 19:30 le vendredi, pour un exercice considéré comme une invraisemblable liberté partout ailleurs en Europe.
Alors, oui, la RTS dépense moins de 10% de son budget de programmes pour acheter des fictions. Grâce à cela et à toutes les émissions qu’elle fabrique, elle résiste plutôt bien à l’explosion du paysage audiovisuel numérique, linéaire ou à la carte. La fiction offre ainsi un bon socle de téléspectateurs, fidèles à la production suisse. C’est une contribution à un service public, pour tous les publics.

Gilles Marchand

Article complet paru dans Le Temps du 12 septembre 2013 [payant]

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