Pushing news
La promotion de la couverture médiatique des attentats parisiens a passé un cap durant cette tragédie. Après les attentats qui ont frappé la capitale française en janvier dernier et lourdement endeuillé la rédaction de Charlie Hebdo, nombreux sont les médias qui se sont interrogés sur leur couverture de ces tragiques événements.
Le suivi quasi en temps réel des attaques par les chaînes d’info, BFMTV en tête, la mise en danger de la vie des otages, le déroulé des faits livré sans retenue ni réserve, a bien sûr questionné. Passée une phase de sidération collective, la profession s’est profondément et parfois publiquement interrogée. Le réflexe de l’info en continu, porté à ce niveau, fait-il partie de l’actualité elle-même? Lorsqu’une interview se déroule en direct sur les lieux mêmes d’une prise d’otage en cours, elle devient à l’évidence un élément de l’actualité couverte.
Comment éviter l’instrumentalisation, tant par les terroristes qui intègrent parfaitement la réaction médiatique à leurs funestes projets, que par les forces de l’ordre qui se servent des images diffusées pour préparer leur intervention?
Et comment enfin gérer cette puissante empathie qui saisit la profession en pareille circonstance, empathie décuplée lorsque des journalistes sont eux-mêmes victimes de ces actes barbares. Bref, comment être Charlie et journaliste tout à la fois?
Toutes ces questions ont marqué les rédactions des journaux, des radios et télévisions durant cette année. Elles ont certainement intéressé aussi les cellules de crise policières, politiques et autres équipes d’intervention, qui ont «débriefé» ce mois de janvier 2015.
Sur les sites web d’info et les réseaux sociaux
Jusqu’au 13 novembre dernier, dans le courant de la soirée. Deux phénomènes ont marqué cette nouvelle tragédie. Tout d’abord la meilleure maîtrise des forces publiques qui ont immédiatement sécurisé les lieux touchés. Larges cordons de sécurité, protection maximale des environs et au final des chaînes d’information en continu comme sevrées d’images. Ont suivi de longues heures où défilaient dans une boucle hypnotique et répétitive quelques maigres éléments visuels et divers débats vite stériles, rythmés seulement par le décompte macabre et impressionnant des victimes.
Tout y était, les émissions spéciales, les titres, les bandes déroulantes de texte, la prudence et le conditionnel, cette fois de mise. Mais tout manquait aussi dans ces écrans sous-alimentés en images. A tel point que très vite les sites Web d’info et les réseaux sociaux ont pris la main. Avec un suivi mis à jour instantanément. C’est là que cette fois cela se passait.
Alertes promotionnelles ou information réelle ?
Et puis sont arrivés les «push» sur nos smartphones et tablettes. Les «push» ce sont les messages d’alerte envoyés par les journaux, les radios et les télévisions qui invitent, parfois avec insistance, à découvrir ici l’édition spéciale, là une nouvelle interview, là encore un témoignage inédit. France info TV, France Info, Le Point, Le Monde, Libération, mais aussi RTSinfo, Le Temps, la Tribune de Genève, 20 minutes, Le Matin et tous les autres se sont mis à «alerter» sans coup férir. Certes, il y a dans ce flux ininterrompu les alertes de pure info qui, affichent des nouvelles sans fioritures ni accompagnement.
Mais les «push», c’est pour l’essentiel la promotion de la couverture de l’info. Ils remplacent les vendeurs de journaux à la criée, qui animaient les rues il y a bien longtemps. Cette promotion fut tellement efficace et présente, en ce triste mois de novembre, qu’elle se mit presque à supplanter l’info elle-même. Et nombreux sont ceux qui se sont surpris à suivre l’évolution des événements à travers les alertes promotionnelles, autant qu’à travers l’information réelle.
Comme si le récit de la couverture médiatique devenait plus prégnant encore que l’événement couvert. Le 13 novembre aura marqué le passage du « breaking news » au « pushing news ».
Article paru dans le Cercle du « Matin Dimanche » le 29.11.2015
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