Gilles Marchand

Sils Maria… sur la Croisette

Soirée strass, paillettes, smokings et robes longues sur le tapis rouge du Festival de Cannes.

Ballet de limousines, actrices magnifiques, bimbos agitées, body guards connectés, riches clients russes, chinois ou saoudiens, bijoutiers affairés, champagne à gogo et surtout, sésame des nuits cannoises : la fameuse « invitation ». Celle qui permet de rentrer là où il faut être, celle qui donne le droit de se faire écraser les pieds et le reste dans une bousculade sans nom vers l’open bar du moment, celle qui permet de faire semblant de connaître… Quelqu’un! Celle enfin qui ouvre la porte sans avoir à trop courtiser le videur, agent de sécurité au supermarché du coin et maître du monde l’espace d’une soirée. Car, à Cannes, la hiérarchie est subtile et impitoyable.

Il y a d’abord la plèbe, la populace, la foule, qui n’a droit à rien d’autre qu’à attendre des heures avant d’entrevoir un instant le veston froissé d’une personnalité de passage. Cette première catégorie se masse dans la rue. Elle a chaud, froid, mal aux pieds, elle est maltraitée. Mais elle est là, brave parmi les braves.

Il y a ensuite la cohorte des petits invités. Ceux qui arrivent à force de ruse, de petites bassesses ou propositions plus ou moins honnêtes, à se faufiler. Des heures d’attente, un coup de chance, un cocktail tiède et de beaux selfies, preuves digitales vitales qu’« on y était ». Certes, pas dans toutes les fêtes, bien sûr, mais, quand même, on est rentré ici ou là.

Le troisième club est celui du business, de l’industrie du film, des photographes, des pros, quoi. Il y a les petits pros et les gros pros. Plus ou moins amers, plus ou moins imbibés au fil des jours et des soirées. Les pros ont des invit’s, ils sont là, se retrouvent, balancent un max. Ils dominent les petits invités, connaissent la musique, les usages. Ils sont aussi les chevilles indispensables de cette grande roue.

On arrive ensuite dans la famille des stars, des actrices, des vrais people. Beaucoup au cinéma, pas mal à la télé, un peu dans le sport. Il y a bien sûr les grandes et les petites stars. Mais, en général, elles choisissent, brassent les invit’s nonchalamment avant de faire le choix du soir. Elles passent alors d’une fête à l’autre, au gré de la nuit et des rumeurs. Cette famille donne la température et le goût de la soirée. Pouvoir immense, éphémère et jouissif, peut-être.

Et puis il y a les puissants, les très riches. Eux, ils invitent. Ils sont entourés d’une cour obséquieuse prête à saisir la moindre miette. Ils produisent, sponsorisent, habillent, parent, diffusent ou, plus simplement, dépensent : ce sont eux les seigneurs du bal.

Et ce petit monde se croise et se décroise sur la Croisette. Quelques kilomètres carrés, des grands et petits hôtels, des trottoirs encombrés, la police, quelques vieilles dames qui promènent leur chien à la tombée de la nuit, d’innombrables petits boulots. Là, dans ce cirque sans limite, dans cette célébration du paraître, surgis de nulle part, quelques moments de grâce qui figent le temps. Car il y a aussi des grands films à Cannes ! Des grands films et des grands acteurs.

L’autre soir, à Cannes, il y avait un beau film, profond, intime, lent. Un film aux antipodes du chaos festif qui l’accueillait. Un film, miroir du temps qui passe pour l’actrice principale, la belle Juliette Binoche, et pour l’actrice qu’elle incarne. Un temps qui passe aussi pour son assistante dans le film, jouée par Kristen Stewart, qui vaut bien plus que les vampires qui l’ont révélée. Et un temps qui passe enfin pour la pièce que les comédiennes interprètent dans le film. Ce film sur le temps qui passe ne se déroule pas au bord de la mer, mais dans les montagnes. Les plans sont somptueux, le cadre imposant, tout comme le brouillard qui, lentement, envahit les vallées grisonnes.

Ce film c’est « Sils Maria », réalisé par Olivier Assayas et coproduit par la Suisse, grâce à l’admirable énergie de Jean-Louis Porchet et Gérard Ruey (CAB Production), soutenus par la SSR et la RTS. « Sils Maria » n’a pas gagné de prix à Cannes, mais il a offert au Festival ce qui est le plus précieux pour lui : un vrai moment de cinéma sans lequel tout le reste ne pourrait pas exister. Des films comme « Sils Maria » sont au Festival de Cannes ce que le goût est aux grandes tables : l’essentiel.

Et il est vraiment  très heureux que, le temps de quelques séquences, la Suisse y soit ainsi associée.

 

Gilles Marchand

 

 

 

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