Gilles Marchand

Télévision : le grand retour de la fiction

Un temps malmenée par l’engouement du public et des chaînes pour la télé-réalité et ses innombrables déclinaisons, la fiction effectue un retour spectaculaire et réjouissant dans les grilles des télévisions, avec à la clé de nombreux succès d’audience.

Dans le monde francophone, la fiction retrouve une place de choix dans les grilles de toutes les chaînes, commerciales comme privées. TF1 investit massivement dans des grands téléfilms et des séries, France 2 suit une politique semblable, M6 construit en grande partie son audience sur les séries, France 3 a fait un pari risqué et gagné, avec un feuilleton quotidien qui s’est installé en France au bout de quelques mois.

Quant à la TSR, elle base depuis longtemps sa stratégie de programmation autour de la fiction, produite, co-produite et achetée, soutenant ainsi tant que possible la production suisse et offrant aux romands des films et des séries, en bi-canal, avant qu’ils ne soient diffusés sur les chaînes françaises.
Ce retour de la fiction au cœur des priorités des chaînes concerne donc aussi bien les investissements en matière de production que les politiques d’achat et bien entendu les stratégies de programmation, essentielles aux bonnes performances des télévisions. Le récent exemple de contre-programmation de la série déjà culte « Lost » entre la TSR (le jeudi) et TF1 (le dimanche) montre combien les réflexes des programmateurs sont soumis à rude épreuve, dans la concurrence permanente que se livrent les chaînes de télévision.

Quand la fiction va taquiner le documentaire et la télé-réalité

Et la fiction n’hésite pas à sortir de son cadre classique incarné par les films, téléfilms et séries, pour prendre des risques et pour aller taquiner d’autres genres télévisuels bien installés. Il en va ainsi des « docu-fictions », ces productions qui mêlent habilement les scènes reconstituées et jouées, avec les images archives. Le récent film sur Hiroschima, diffusé sur la TSR et TF1, illustre bien cette évolution.
Dans un autre registre, les séries rendent coup pour coup à la télé-réalité en puisant parfois sans retenue dans sa dramaturgie, ses castings et ses situations. On pense par exemple à « Lost » qui ressemble à une sorte de « Kho-Lanta » complément scénarisé et assumé comme tel. Cette évolution de la fiction, pour habile et efficace qu’elle soit, ne va d’ailleurs pas sans poser quelques questions fondamentales. A commencer par le danger de réinventer l’histoire à force de la re-jouer.

Les romands aiment les films et les séries

Mais le fait est que depuis quelques mois, la fiction vogue de succès en succès.
On citera par exemple, sur la TSR, « Dolmen », les séries comme « Lost » et « Les Experts », « Nip tuck », « Urgences », les grands films de Box Office, les séries françaises comme « femmes de loi » ou « Joséphine », ou encore les formats courts dont le « phénomène » François Silvant, qui rassemble le mercredi plus de 220’000 romands !

La bonne santé du couple « télévision-fiction » est réjouissante.
D’abord parce que la fiction raconte des histoires, fait rêver, interroge aussi, mais surtout apporte un témoignage précieux sur la réalité sociale du moment.
Ensuite parce que la fiction est parfaitement compatible avec le développement de la télévision. Elle sera certes de plus en plus mobile, personnalisée, interactive. Mais en même temps se développe un autre télévision, tout aussi légitime : celle des grands écrans, du son ambiant, de la haute définition, bref la télévision du « home cinéma » qui ne peut que s’entendre avec la fiction !

Le service public investit plus de 60 millions sur 3 ans dans la fiction suisse

Ces perspectives sont aussi heureuses parce qu’elles incitent les chaînes à investir dans la fiction. Ainsi SSR SRG, vient d’annoncer en marge du Festival de Locarno la signature du nouveau Pacte audiovisuel, qui garantit un engagement de près de 60 millions de francs sur trois ans. Et ce malgré les restrictions budgétaires qui vont frapper le diffuseur national.
Cet effort s’inscrit, bien entendu, dans le cadre du mandat de service public. Mais il est certain que le succès qui accompagne actuellement la fiction à la télévision est pour le moins motivant.

De son côté, la TSR s’engage depuis longtemps dans la fiction. D’abord en produisant elle-même des séries comme par exemple « Marilou », qui se tourne actuellement, et des formats courts (« vu sous cet angle », « ma télé », « le petit Silvant illustré »…), qui permettent de créer des héros de proximité et de faire travailler bon nombre de comédiens, auteurs, réalisateurs et techniciens romands. La TSR co-produit également de nombreux téléfilms avec les chaînes francophones. Deux exemples, en tournage actuellement : « Du rouge sur la croix », qui retrace la vie d’Henri Dunant, et « les Amants de la Dent Blanche », réalisé par Raymond Vouillamoz, une coproduction suisse, française et belge.
Au total, plus de 100 téléfilms en 20 ans.

Environ 13 films, 7 téléfilms et 80 épisodes de séries chaque semaine sur la TSR !

Cette stratégie est essentielle pour la Suisse romande. D’abord parce que ces co-productions permettent des diffusions en avant-première sur la chaîne romande et génèrent d’excellentes audiences. Ensuite parce que la présence de la TSR dans ces productions les incite à venir tourner en Suisse romande faisant ainsi travailler l’industrie locale et assurant un certain rayonnement à la région. Dernier exemple en date, « Zodiaque » qui se tourne actuellement à Leysin. Enfin parce que les co-productions TSR représentent une porte ouverte importante sur le monde francophone, sur la scène culturelle parisienne, donnant par là-même plus de chance aux professionnels romands.
Un instrument clé de la politique fiction de la TSR est bien entendu le Pacte audiovisuel, dont la chaîne romande est un moteur convaincu depuis le début. Car le Pacte favorise aussi le cinéma d’auteur, fait émerger des nouveaux talents et est essentiel à la production des nombreux documentaires, de qualité, diffusés en suisse romande.

Au total, les engagements de la TSR dans le Pacte s’élèvent à près de frs.3,5 millions par an, dont près de 30% pour les documentaires, montant auquel s’ajoute frs 2,7 millions de budget additionnel TSR sous forme de prestations techniques et de numéraires et frs 3,2 millions mis à disposition par la SSR pour des projets nationaux et comme participation à des films de cinéma étrangers coproduits par une société indépendante helvétique.

Mais la bonne santé de la fiction à la télévision passe aussi par les achats. Pas moins d’une centaine de cases de fictions sont programmées chaque semaine sur TSR1 et TSR2. Chacune de ces cases à sa stratégie propre, vise un public spécifique et régulier, tant au niveau des films que des téléfilms ou des séries. Il s’agit là de flair (repérage des fictions intéressantes), de négociations et de programmation. Récemment, Box Office à mobilisé plus de 200’000 romands avec « Le Papillon », « Miss Detective » ou « Spiderman ». Et des inédits très populaires sont programmés comme « Harry Potter », « le seigneur des anneaux », « Matrix », « les invasions barbares » ou encore « les choristes », qui est même une coproduction TSR.

Cette programmation populaire n’est pas incompatible avec de la fiction plus exigeante. On citera Nocturne, les cases consacrées aux films suisses, les classiques du cinéma ou Ecran TV le mardi. Dans un autre registre, la TSR diffuse aussi des séries plus pointues comme « Six Feets Under » et « Sopranos ».

3 enjeux pour la fiction romande

La fiction est donc nécessaire à la TSR autant qu’elle est utile à la Suisse romande. Raison pour laquelle le savoir-faire romand doit être encouragé, soutenu, développé. C’est le sens des Ateliers d’écriture lancés par la TSR en 2001 et des différents appels et concours. Mais pour que cette fiction romande de qualité et populaire existe, en Suisse romande comme sur la scène francophone, trois conditions doivent être réunies.

Il faut tout d’abord éviter de saupoudrer les moyens disponibles auprès de tant de producteurs qu’aucun n’arrive à stabiliser ses structures et assumer des projets importants. Il faut ensuite que les coupes budgétaires qui vont frapper le service public ne soient pas telles qu’elles freinent le ré-investissement et le soutien à la branche cinématographique. Il faut enfin, est c’est vital, que la Suisse romande puisse continuer à exister dans les co-productions francophones. Pour ce faire, il faut que le territoire romand reste un territoire de droit audiovisuel, à part entière. Ce qui signifie que les tentatives des fenêtres publicitaires des chaînes françaises, qui tentent de s’introduire dans le marché romand sans payer les droits de diffusion pour la Suisse romande, doivent être combattues sans relâche. Il en va de l’existence même de la fiction francophone en Suisse !

Gilles Marchand

Article paru aussi dans Le Temps, août 2005

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